L'Afrique a été un temps épargnée par la pandémie focalisée sur la Chine et un épicentre européen. Mais le virus ne connaît pas les frontières et l’Éthiopie a été touchée à partir de mi-mars avec l'annonce officielle d'un premier cas. Ce mois d'avril voit monter inexorablement, jour après jour, la courbe des cas annoncés, en dépit des mesures prises pour désinfecter et la mise en œuvre d'un confinement strict et rapide. Au 23 avril, presque 120 cas ont été recensés. Cela semble peu au regard de ce qui est vécu dans les pays les plus atteints, mais il faut se souvenir qu'au début, nous aussi les comptions par unités, avant de les compter par dizaines puis par centaines et milliers.
Sans parler des faibles moyens locaux de test face au Covid-19, ce recensement de cas repérés ne reflète pas forcément la réalité, tant le pays présente les attributs bien connus d'une nation au développement inégal et paradoxal : croissance économique et investissements côtoient bidonvilles et déflation. Bien que la qualité des soignants et le perfectionnement des hôpitaux ne soient pas mis en cause, la vulnérabilité socio-économique des populations est un facteur aggravant. La croissance démographique de ces dernières années a fait passer la population éthiopienne de 30 millions d'habitants en 1973 à presque 113 millions aujourd'hui et les prévisions dépassent 200 millions au seuil des années 2050. Or la sécurité alimentaire n'est pas du tout installée dans ce pays à l'économie très majoritairement agricole, notamment à cause d'épisodes de sécheresse dévastateurs dont le dernier, lié au phénomène El Nino*, date seulement de 2015-16.
En dépit de sa croissance économique soutenue par les investissements chinois dans le pays et l'apaisement de surface qu'apporte un gouvernement moderne sur fond de tensions ethniques persistantes, comment l’Éthiopie pourra-t-elle traverser cette crise du Covid-19 ?
Aujourd'hui les exportations sont stoppées, les investissements également, le virus circule à présent dans le continent africain avec des foyers pathologiques élevés. Alors qu'en Europe, les pauvres sortent de l'ombre où la société de consommation les avaient relégués — sous l'onde de choc, ils deviennent visibles et tous ceux qui vivaient sans réserve financière se retrouvent dans la catégorie des sans-ressource —, on sait déjà que les conséquences sociales seront problématiques et que nous n'y sommes pas préparés. Que craindre pour l’Éthiopie qui, ainsi que tant d'autres pays africains, servira vraisemblablement de caisse de résonance à l'affaissement mondialisé de l'économie ?
Et que dire aussi de cet affligeant fléau d'invasion de criquets pèlerins qui s'abat en ce début 2020 sur la corne de l'Afrique ? Il semblerait que l'ampleur du phénomène soit hors norme. La FAO signale d'énormes ravages sur 200 000 hectares de terres agricoles, causant les plus grandes inquiétudes sur les moyens de subsistance des éthiopiens. Alors que les populations auront besoin de denrées alimentaires en soutien pour résister à la famine, la pandémie Covid-19 fournit un contexte particulièrement délétère, en limitant les circulations et les aides possibles.
Enfin, et pas des moindres, un autre sujet d'inquiétude sanitaire s'empare conjointement de l’Éthiopie avec ces cas de fièvre jaune signalés de manière exponentielle depuis le mois de mars dans le sud du pays, maladie grave dont la propagation risque d'être exacerbée par la densité de moustiques vecteurs en ce début de saison des pluies.
En résumé, un début 2020 qui marque les bases d'une période particulièrement difficile, dont on ne peut prévoir à ce jour dans quel état l’Éthiopie s'en sortira. C'est une manière tristement lucide d'envisager le court et moyen terme, qui cependant ne nous fait pas oublier que la solidarité humaine et citoyenne consiste aussi à faire émerger le beau pour partager une certaine joie de vivre ensemble sur cette planète Terre :
* Phénomène océanique de grande ampleur, El Nino perturbe les conditions météorologiques en Pacifique, entraînant à intervalles réguliers et de manière plus ou moins intense, des sécheresses terribles dans certaines zones et des tempêtes avec excès pluviométriques dans d'autres. Une étude scientifique parue dans la revue Nature en 2015 prévoit une plus grande fréquence du phénomène El Nino sous l'effet du réchauffement climatique non contrôlé.
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